Nous savions parfaitement que l'espèce humaine était sur la voie de l'extinction, que les semaines de la planète étaient comptées sur les doigts de la main divine, celle qui nous avait déjà donné le choix entre se faire foutre de sa gueule par son prochain ou foutre sur la gueule du même prochain, croire en la mamelle nourricière, la téter jusqu'à l'écœurement, la respecter jusqu'à l'abnégation ou s'en servir pour assouvir des inclinaisons désormais réprouvées par le code pénale.
Nul n'ignorait la fatalité qui devait nous entraîner vers les abîmes obscurs, nous plongeant dans la soupe pleine de poils, brûlante et éternelle qu’un ange félon boursouflé par l'ambition et l'effronterie aimait à nous servir quotidiennement du haut de son aigreur.
Les chaleurs accablantes succédaient aux frimas incontrôlables, les sécheresses aux l'inondations, obligeant les élus et autres ministres à sortir de leur réserve à coups de communiqués péremptoires : "Il pleut, abritez-vous ou prenez quelques jours et faites un saut à l’île Maurice", "Il neige restez cloîtrés ou venez travailler en hélicoptère", "la canicule s’abat sur le pays : mangez des glaces, garez vos voitures à l’ombre et mettez vous des mouchoirs humides sur la tête", "l’eau est radioactive, diluez la avec quelques gouttes de citron", "vos enfants risquent à tout instant d’être contaminés faîtes leur porter des dosimètres. Mais pas n’importe lesquels, ceux avec un petit Mickey qui secoue la tête quand la mesure est critique". C’est à ces stratégies hautement évoluées qu’on a toujours su reconnaître la fine fleur de la hiérarchie politique, celle qui sent bon l’essence d’énarque et autres arômes spécifiques réservés aux élites.
Les typhons se substituaient aux raz de marée, les scandales sexuels aux crises financières, « lèche-moi le CAC40 », « Fous moi ta grosse dette dans le parachute », « laisse-moi te tripoter l'espace de Schengen » ; les rumeurs aux convictions, les promesses aux atermoiements, les caresses aux bastonnades, la course élégante de la planète bleutée prenait d’heure en heure des allures de trajectoires de yoyo détraqué.
Les peuples comprenaient bien que quelque chose ne tournait pas rond dans le programme, après tout la stupidité des populations est tout à fait cyclique, les instants de lucidité cheminant au même train que les heures de divagations collectives. Tous les continents s'enfiévraient, de chacun d'eux montait la même impression que les prévisions étaient faussées, que les plans se froissaient les uns après les autres, floutant les grandes lignes conjecturales , que des erreurs avaient dues être commises, même les traditions prenaient parfois des apparences de pièges à cons. Ces craintes palpables choisissaient des formes plus ou moins explicites, selon les caractères, selon la géographie, l’altitude, la température, les rites culinaires, la coutume, le folklore, la proximité de voisins plus ou moins coopératifs.
Ici on tapait sur la table en faisant sauter en l’air les verres à apéritifs et les biscuits salés, on faisait des sit-in, on grommelait en roulant des yeux, là on tirait à vue, on s’enfonçait dans la terreur, dans le crime, dans l’indicible, notion vaporeuse chère à HP Lovecraft. Là encore, excédé, on votait résolument à gauche ou frénétiquement au Centre, parce qu’en fin de compte tout n’est pas si terrible que ça.
Par là-bas, dans les Républiques agonisantes, on offrait des petits-fours et les lambris dorés à ceux-là même qu’on avait haït soixante cinq ans auparavant lorsqu’ils défilaient au pas de l’oie sur les pavés lustrés, reniant des serments irrévocables, piétinant des dogmes ébauchés à coup de vies humaines, de sacrifices, de cruauté ressentie. Les fusibles mis en place après les expériences malencontreuses des aïeux à moustaches sautaient les uns après les autres offrants au monde médusé des spectacles pyrotechniques redoutables mais de toute beauté.
Le grand leitmotiv prenait les airs des rengaines des caboulots « On ne sait plus sur quel pied danser... » « Mais à qui faire confiance ? » « La java des isoloirs » « La rumba des professions de foi ». Moi, moi, c’est moi, par ici, regardez-moi ! Des prunelles suspicieuses se posèrent alors sur les princes discrets, sur les ridicules petits barons la morgue au nez, qui agitent, au bout de leurs auriculaires déformés par l’étiquette, des blasons surannés, incompréhensibles, sur les tyrans paranoïaques gonflés à éclater par la suffisance, coulé dans la vanité comme des merdes dans le bronze prétendant posséder des peuples, disposer du droit de vie ou de mort sur des pseudos sujets , détenir la vérité obsessionnelle, la légitimité absurde acquise par les nébuleux faits d’armes d’un ancêtre aux formes atrophiées de potentat, lui-même résultat claudiquant d’un coup de bite hasardeux sur la carpette d’un campement militaire, à l’angle d’une meurtrière, sur le parquet brillant d’un corridor versaillais ou derrière les rideaux de velours d’un salon feutré du troisième Empire.
D’immenses panaches de fumée s’élevèrent de chaque colline, de chaque forêt. Dans chaque plaine, sur les hauteurs de tous les plateaux se groupèrent des masses considérables, des multitudes d’êtres humains multicolores qui se mélangeaient tremblant de ressentiment, les bras levés, armés de branches de ronce, de pierres coupantes, de cornes d’animaux morts. Les yeux grésillaient d’une braise haineuse, les gorges vibraient de menaces et de cris.
Tels des fleuves tempétueux roulant des immondices, des cortèges d’hommes portant sur leur dos des vieillards vociférant, agitant leurs membres décharnés et des nuées de femmes et d’enfant s’avançaient prêts à en découdre, à renverser les oppresseurs, à abattre l’autorité, ne craignant ni le feu des armes ni la brûlure de la répression.
Dieu pouvait bien être dans le clan d’en face, sa parole n’avait plus la moindre valeur, ses commandements rédigés sur des parchemins anciens servaient depuis longtemps au mieux à emballer la friture, au pire à essuyer la semence avariée de ses légats dégénérés.
Ce peuple là n’appréhendait plus rien, donnait la mesure du vide qu’il allait occasionner dans les rangs de ceux que le pouvoir avait hypnotisé. Il ne craignait rien de brutale, rien de cruel, la détermination le guidait, il attendait, planté dans la misère, les bataillons sauvages, les hordes farouches chantés dans les hymnes guerriers.
Les forces de l’ordre ne vinrent pas. Il se passa des jours entiers sans que rien de significatif ne se produise. On se lassait presque. Puis ce fut la stupéfaction, la terreur se présenta sous un aspect anodin, une forme jusqu’ici paisible, loin des images classiques et redoutées de la répression. Les rêveurs les plus acharnés, les plus prédisposés à l’imaginaire débridé n’auraient pu fantasmer une telle épouvante. Machiavel lui-même, fourbe et vermoulu, n’aurait osé proposer une semblable recommandation aux Princes qu’il conseillait. La violence, la cruauté portée à ces peuples épuisés n’avaient pas de nom. Les malheureux pliés par la douleur devenaient inopérants, des diarrhées infâmes et sanguinolentes les courbaient à même le sol, les maux de ventres anéantissaient les jeunes enfants, les viscères des plus âgées explosaient sous la pression des poisons, les femmes hurlaient (chochottes) cherchant à extraire de leurs entrailles, à mains nues, le venin qui les assassinait.
On attendait les chars, la mitraille, les bombardements, on guettait les sections d’assaut, les compagnies de CRS, les gardes impériales, les tontons macoutes.... Ils avaient envoyé les steaks hachés à prix coûtants, les germes de légumes teutons à l’urine de renard, les concombres génocidaires, les légumes exterminateurs, le thé vert radioactif, le lait corrosif et autres sournoiseries funestes.
Chacun regagna ses pénates en tenant ses couches, il fut organisé une vaste distribution de pansements gastriques, on remercia chaleureusement le Ministère de la Santé qui avait participé à éviter le pire en adaptant les remèdes aux maux.
Jean Louis Borloo se présenta aux élections présidentielles, convaincu qu’il pouvait apporter au pays l’aide nécessaire à la poursuite radicale de l’action gouvernementale mais avec lui à la place de l’autre et il ne fut pas élu.
Mince...
Voxpopuli
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