On s’en tape !
La mort dans l'âme, je dois rendre à César sa panoplie de mauvais garnement - jupette, sandales, bouquet garni dans les cheveux et fausse cuirasse de torse moulée en cuir de Sibérie - et à un certain Leblase, dont le seul nom, au même titre que celui du célèbre empaleur Voïvode des Carpates, fait frémir soit de plaisir soit d’angoisse, selon que l'on ai des tendances étranges allant d’un bord à l’autre du spectre de la nature humaine, la paternité de cette réflexion.
Volontairement, je ne dis pas la "paternité de cette expression", car nous savons tous depuis notre prime enfance, que la formule « On s’en tape » remonte à des temps immémoriaux, antédiluviens, voir même bien avant.
Il était courant d'observer, dans les plaines immenses, battues par les froids polaires, des hommes de Cro-Magnon, les aisselles délicatement parfumées à l'essence de mammouth, esquisser de beaux sourires et se faire, avec les bras, de grands signes en forme de moulinets qui finissaient irrémédiablement sur leur arrière train, gestes qui signifiaient, on le sait aujourd'hui grâce à des études précises: "On s'en tape !" Ils venaient alors, manquant une gracile et véloce gazelle, de blesser sauvagement un membre du clan d'un jet de pierre ou de javelot approximatif, car chez le Cro-Magnon, c’est de notoriété publique, tout est jeu, découverte et enchantement.
Ponce Pilate, fut l’un des premiers à signer, non sans une certaine nuance une très belle interprétation de la formule en question, le peuple ayant pour une fois été l’instigateur de cette conduite héroïque du légat de Rome qui fut lui-même totalement surpris de ladite décision en faveur du ténébreux Barrabas.
Plus tard, au Moyen-âge, il n’était pas rare de mettre à contribution la fine fleur de l’artisanat de l’époque en leur faisant graver « On s’en tape », en caractères gothiques flamboyants, sur les grosses pierres qu’on balançait à coups de catapultes sur les créneaux où s’agitaient des drapeaux blancs, tenus à bout de bras par des assaillis terrorisés et épuisés par des semaines de famine et désirant plus que tout une reddition, même avilissante, à un carnage annoncé.
Que vous soyez Syrien ou Libien, l’intérêt qu’on vous portera passera de la compassion silencieuse à l’implication relative, du largage de bombe à haute altitude au mouvement réprobateur d’un index agité...
Qu’est-ce qui fait qu’on puisse à ce point s’en taper de certains davantage que d'autres ?
Et le bruit court chez les dictateurs du monde entier, dont l’assemblée générale pourrait avoir lieu cette année à la salle des fêtes Gilbert Becaud de Pont, qu’être reçu en grande pompe à Paris n’augure pour de très bon pour la carrière d’un despote. Être l’invité d’honneur au défilé du 14 juillet ou au camping de Matignon ne protège aucunement des retours de manivelles.
Ceci dit attention, à trop vouloir tirer sur la corde, on va bientôt finir par se fâcher avec tout le monde... Mais loin de faire acte de contrition, les conseillers éclairés qui ont trouvé approprié de faire venir ces autocrates sanguinaires moyennant l'ombre de l'amorce d'un éventuel marché juteux sur une centrale nucléaire ou autre babiole inoffensive, s'embourbent pour se défendre dans des thèses ébouriffantes dont les conclusions pourraient se résumer à un impertinent : "On s'en tape... " Comme quoi et cela parait bien légitime quand on y pense, on peut s’en taper à tous les niveaux.
Si je rebondis aujourd'hui sur la tournure, c’est que je la trouve parfaitement adaptée à la plupart des situations que nous avons le plaisir et le bonheur de vivre aujourd’hui. Et nous sommes tous, enfin je veux dire vous et moi, le plus grand nombre, le commun des mortels, les drogués (ées) de la plateforme, sujet à être ou à devenir quotidiennement la cible de cette nonchalante dépréciation.
Quelque soit les angles d’attaque, les aspects du problème, nous sommes les premiers dont on se tape, du matin au soir. De vous madame, nouvelle reine du génie culinaire et du régime amincissant pré aoûtien. Vous pensez être les nouvelles Madame Mérigot ou les Pics de la gastronomie mondiale ! Foutaises, on se moque de vous, vos macarons sont secs comme des Choco BN, vos verrines sont fades comme des vieux mégots... De vos talents, on s’en tape, l’essentiel est de vous faire acheter par dizaines les livres qui vous conforteront, à la fin, dans votre incapacité à réaliser la moindre confiture, la plus modeste des papillotes.
Et de vous monsieur, roi du bricolage et du même coup champion du pansement réalisé à une seule main : on vous vend une visseuse sans fil, un mètre ruban et vous voilà propulsé au rang d’un pharaon constructeur, architecte en chef de la cabane à outils... Ouvrez les yeux "on s’en tape." Aussi... !
Tout ce que vous pensez être construit pour votre plaisir, pour votre bien être, n’existe en fin de compte que pour mieux vous contraindre à choisir entre le superflu stérile et l’inadapté compulsif. Quoiqu’il puisse y avoir d’organisé à votre intention, dans votre intérêt, songez en priorité à qui profite votre crédulité et quelle entité supérieure a décidé de vous prendre pour un naïf contraint .
Et les déclinaisons sont aussi nombreuses qu’imagées : « On s’en tamponne le coquillard » n’est pas la moins maritime des versions, encore que pour ma part l'image du coquillard ne soit pas la plus précise du bestiaire connu. On pourra citer en vrac : « On s’en bat l’œil », « On s’en poudre les roubignolles » (formule réservée à qui en a).
L’indifférence, le nombrilisme, la carrière, la politique, la peur ont élevé la locution à des altitudes remarquables.
Alors que l’on pourrait croire qu’on ne nous la fait pas, plus malin que moi tu meurs, qu’abreuvés par un torrent discontinu de nouvelles, de contre nouvelles, de bulletins d’information nous sommes tous les phœnix des hôtes de ces bois, virevoltant sur les fuseaux horaires et les parallèles de la planète comme des hirondelles dans le soir qui tombe, maîtrisant les événements politiques ou économiques comme des demi-dieux, analysant la situation mondiale avec la lucidité d'un administrateur du FMI. (à cet instant, je précise que ce billet a été commencé d'être écrit bien avant les évènements qui défrayent actuellement la chronique) plus je me sens informé, plus cette doucereuse sensation de me faire empapaouter me semble se préciser.
On fête (le mot est-il bien choisi) le vingt cinquième anniversaire de Tchernobyl alors que Fukushima est toujours en train de trembler, ses réacteurs s'enfonçant dans la croûte terrestre comme un couteau dans du beurre mou, la centrale fuyant comme une grand-mère incontinente, repoussant presque le drame japonais au rang d'un feu de grange. Le sort de cette partie du Japon ne constitue plus la préoccupation première, les conséquences désastreuses, épouvantables de la radioactivité rejoignent péniblement les effets de la sécheresse dans le marais Poitevin, les chinois « on s’en tape »… « Pardon, ce ne sont pas des chinois qui habitent dans cette partie du Japon mais des japonais » Qu’est-ce que je viens de vous dire … ON S’EN TAPE ! Japonais, Chinois, Coréens, Vietnamiens… Je n’ai jamais pu faire non plus la différence entre un Malien et un Sénégalais ou entre un Tunisien et un Egyptien.. Alors vous pensez bien, les Chinois et les Japonais... Même combat !
Du nouveau également au programme avec le retour des vieilles barbes de la saint Jean et des sucettes politiques qui précèdent tous les cinq ans les débats préélectoraux. Nous avions déjà eu le génial « travailler plus pour gagner plus ! » … Non, t’es pas sérieux, tu ne peux pas dire ça… Travailler moins pour gagner plus, ça interpelle, travailler autant pour gagner plus, c’est alléchant, mais franchement travailler plus pour gagner plus… Ils vont croire qu’on les prend pour des poulets de 10 jours… Mais on s’en tape ! Combien tu paries que ça va faire ni une ni deux et qu’ils vont foncer comme un seul homme… CQFD ! Et demain on rase gratis.
Côté information, c’est l’embellie, la charge émotive est à son summum le flou atteint paisiblement des paroxysmes et les bases construites la veille à grand renfort de certitude s’effritent le lendemain avec le plus beau naturel. Si sur le papier la supercherie est moins visible, la télévision elle n’hésite pas une seconde.
« Notre envoyé spécial va maintenant revenir sur les évènements et faire le point sur ce qu’on sait déjà. »
- "Et bien, à cet instant précis, rien n'a filtré et il est impossible de s'avancer sur quoique ce soit... C'est tout ce qu'on pouvait dire ce soir à ce sujet..."
" Non mais attends mon lapin, on ne peut pas en rester là, les gens ont besoin de savoir..."
" Mais ON S'EN TAPE des gens coco c'est ça maintenant la bonne nouvelle, tu leur dis tout et immédiatement après le contraire et miracle de la mémoire sélective, tu peux remettre ça le lendemain et même en inversant le mouvement... Ca marche pareil ! »
"Allez ! Envoyez la pub"
- Et ça, ça va faire un billet sur ton blog ?
- Ben oui, je crois.
- Tu penses que les gens vont apprécier l'exercice ?
ON S'EN TAPE ! (Merci Leblase.)
Voxpopuli
→ plus de commentaires