
Vercingétorix est mort, Louis XVI a perdu la tête, le dernier Condé est tombé dans le fossé.
Louise Michel est morte.
Anne Frank est morte toute jeune et pas en très bonne santé.
Maurice Chevalier a quitté le devant de la scène, Molière s’est effondré sur son fauteuil, qui n’était pas encore un Voltaire.
Petit, j’avais tous les disques de Marcel Amont mais tout comme les 45 tours, la vie tourne. Marcel Amont est mort.
Gustave Flaubert est mort, la moustache tombante mais je participe avec modestie à son immortalité.
George Brassens a cassé sa pipe et plein d’autres fumeurs de pipe comme lui.
Des millions de poilus et autant d’allemands se sont fait casser la gueule, à Verdun, peu importe où d’ailleurs, maintenant on est copains comme cochon.
On est mort de la peste noire au Moyen âge, de la lèpre, de la rage, du choléra, de la vérole, petite et grande, de la tuberculose, j’en oublie, et peut-être même du rhume des foins.
Guillaume Depardieu est mort écorché vif et aussi d’une pneumonie.
Coluche est mort d’un accident de la route. Celui-là, tout le monde regrette aujourd’hui qu’il soit mort, surtout maintenant qu’il est mort.
Ramsès II est mort, pourtant on n’y croyait plus tellement il avait enterré de ses contemporains.
Des milliers de romains et autant de carthaginois se sont éventrés, fracassés, égorgés, décapités, démembrés consciencieusement durant les guerres puniques.
Un jeune homme est mort, jeté dans une rivière par une bande de connards désoeuvrés qui voulaient simplement, au départ, lui voler son skate.
4 millions d’esclaves ont été libérés, si on peut dire, grâce à la mort de 60 000 soldats, Nordistes et Confédérés confondus.
Saddam Hussein est mort... Bon.
Sœur Emmanuelle est morte, quand on sait ce qu’est un bidonville, on imagine celui du Caire ! On dit aujourd’hui que c’est une icône. J’ai entendu dire la même chose de Jacques Mesrine pas plus tard que ce matin et on en disait autant de Raspoutine Alors c’est quoi une icône ?
Ma grand-mère est morte aussi, il y a très longtemps. Nous l’appelions Mémé Colombe parce qu’elle avait les cheveux blancs et qu’elle était toute douce, mais rien n’y a fait, doux ou pas tu y passes quand même.
Voici déjà, à l’arrachée, en quelques lignes d’un catalogue qui pourrait faire des dizaines de volumes, plusieurs centaines de milliers de morts.
A part Mémé Colombe, qui s’est envolée, les autres m’inspirent, si ce n’est un chagrin irrationnel, au moins une pensée complaisante, que parce qu’ils ressemblent à des gens qui me sont proches. Guillaume Depardieu me fait penser au fils un peu perdu de vue, Coluche à des potes partis trop vite, Flaubert à ma table de nuit, sœur Emmanuelle à Mémé Colombe. Mais Chevalier, Brassens, Vercingétorix, et les milliards de milliards d’êtres humains qui constituent le terreau, l’humus de notre sous-sol, je n’en n’ai rien à foutre ou plus modérément peu m’importe.
Depuis la nuit des temps, depuis même avant qu’on ait idée du temps qui passe, des gens meurent sur notre belle planète, mais c’est bien foutu, ce qui est mort anonyme est absorbé, englouti, par la nature, par la décomposition, dévoré par d’autres organismes dont c’est le rôle et qui ne perdent rien pour attendre, ce qui est mort célèbre, connu ou révélé, est aussitôt enrubanné, exposé, confit ou statufié par l’histoire.
L’histoire ne serait alors que l’inventaire des morts qui ont du mal à être dissipés, des durs à cuire.
Autour de chaque être qui disparaît, il y a de longs coups de poignards dans le cœur d’un tout petit nombre, il y a ensuite le petit cercle de ses proches, amis famille, qui le pleure, plus ou moins brièvement, ça aussi, c’est bien foutu ; la mémoire, quand elle efface tout lentement les souvenirs les plus douloureux, ne laissant plus, en définitive dans la gorge qu’une nébuleuse amertume. Les ondes de ce cercle d’affliction se dispersent, diluant avec leur progression la tristesse commune. Et la proximité avec le cher disparu, ne s’avère pas être non plus un gage de déchirement supérieure, il y a des exemples, et réciproquement.
Je ne sais simplement pas si je suis normal, si cette froideur incontestable est l’écho courant d’un détachement ressenti par tout un chacun ou à contrario l’exceptionnelle manifestation d’un mépris isolé. Auquel cas je prendrai les dispositions qui s’imposeront.
Pour ce qui est de l’extensibilité du paradis ...
[EDIT: Une source bien informée m'indique que Marcel Amont va beaucoup mieux ]
PhY de Pont
Voxpopuli
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