Mots-clés : Alexandrie
Gustave :
- Pauvre mère, je crevais de trouille de la laisser à Croisset, je pensais qu'elle n'y survivrait pas. Partir, l'abandonner là, a été un déchirement atroce, nécessaire mais atroce, mais le pire, a été au retour, de lire tous les reproches que ses yeux formulaient. Je peux te dire, ce ne fut pas un moment vraiment réjouissant.
Suzanne :
- Quand je pense, cette distance, toutes ces lieues à travers les dangers, faut croire qu'il vous en a fallu du courage pour toutes ces décisions et ces aventures. Et ces gens étranges, et tout ce sable dans vos déserts ! Moi j'aurais fondu sous cette chaleur ! Mais des merveilles, ça vous avez dû en voir.
Gustave :
- Tu peux le dire ! Je me demande, en fin de compte si l'aventure ne se résume pas uniquement au voyage, avec tous les sacrifices liés à l'absence. Quelques fois il suffit de respirer l'odeur de la boite qui a renfermé le haschisch pour en ressentir les effets, les émotions. En consommer est superflu. Du moins j'ai cru ça jusqu'à ce fameux matin plein de soleil, quand notre pilote, sous son turban blanc, aveuglant, nous amena dans la passe d'Alexandrie, et le premier chameau que j'ai apperçu sur la terre d'Egypte. J'étais ébloui, comme un esquimau pourrait l'être en regardant une vache. Et cette fille somptueuse, magnifique qui avançait sur le quai avec une grâce incomparable et ses pendants d'oreille, elle était comme un palmier chargé de dattes, frêle et majestueux à la fois.
Suzanne :
- Voilà, vous avez uncore une histoire toute prête pour vos écritures. Je pourrais lire vos contes à Julie, quand elle sera rentrée, comme ça on saura tout de votre vie.
Gustave :
- Julie faisait déjà une belle commère, maintenant vous ferez la paire. Ainsi il te plairait de tout savoir ? Tu voudrais vibrer par procuration, au risque de rester sur le seuil de la passion. Tu veux profiter sans craindre, sans souffrir. Tiens, peut-être voudrais-tu également jouir sans aimer, sans prendre ni donner, simplement par l'opération du saint Esprit et, je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit qu'aujourd'hui, le saint Esprit, c'est moi.
Suzanne devient rouge comme une pomme.
- Faut pas vous emballer comme ça, vous inventez !
Gustave :
- Ne t'offusque pas, crois moi ou pas, ça me flatte. Tu as raison, l'histoire de ma vie est prête, elle se repose en ce moment des fatigues du voyage et des lumières trop fortes dans des lettres, quelque part à l'ombre, dans la poussière de vieux cartons. Parfois je me demande si il ne serait pas mieux de tout brûler.
Suzanne :
- Ben sûrement pas, vous virez fou ou quoi ?
Gustave :
- Je me demande jusqu'où tu serais capable d'entendre le récit de mes frasques sans avoir envie de me repousser, sans préférer abandonner de peur de déplaire à tes convictions. Et moi ? Jusqu'où pourrais-je te raconter sans commencer à mentir, pour t'impressionner ? Mon histoire, je la modèle à chaque fois et à chaque fois d'une manière différente, à la mesure exacte de mon auditoire, pour le troubler jusqu'aux tréfonds. Je me prends pour un miroir surnaturel, qui ne restituerait que l'image idéale, celle qui plaît, qui touche, qui flatte. Mais sacrebleu, à quoi rime cette conversation, ou plutôt ce monologue. Tu me lances des petites phrases innocentes et moi je tombe dans le panneau, je rentre en moi et te découvre ma doublure comme je le ferai avec un ami de 50 ans.
Gustave va lentement vers son grand sofa, tout recouvert de coussins et de tissus d'orient.
Gustave :
- Allez, assez raconté ! Je vais m'installer dans les cuisses de ma vieille et fidèle ottomane, elle au moins ne m'a jamais déçu, ni trompé. Viens près de moi, je veux te voir de plus près. S'il te plait, approche aussi ma pipe et le tabac.
Suzanne :
- Il n'est pas temps de fumer. Vous feriez mieux de vous reposer, un couple d'heures au moins. Depuis ce matin je n'ai pas eu le temps d'avancer, regardez ce fourbi, cette poussière, j'ai de quoi faire. Et il faut du bois.
Gustave :
- On s'en fout de ton bois. Approche te dis-je. Aime autant que je l'ai fait et tu verras, à la fin du compte, tes envies seront trop permanentes, trop intenses pour qu'elles se résument simplement à des besoins de baisades. Tu es si jeune. Je ne renie pas mes culbutes, je ne me suis jamais laissé dégoûté après le plaisir et si la mousse a poussé sur les édifices de mon coeur sitôt qu'ils étaient bâtis, il m'a fallu du temps pour qu'ils tombent en ruine et certains subsistent toujours. Reste un muse chère Suzanne, reste un inspiratrice, car même totalement revêche, la muse donne moins de chagrin que la femme.
Suzanne s'approche enfin de Gustave, elle est au-dessus de son visage, elle tamponne son front et sa bouche avec un mouchoir blanc.
Gustave :
- Comme tu es belle, je voudrais te caresser, toi aussi, toi surtout, mais je craindrais trop de t'érafler la peau de mes vieilles mains, et de rayer ton vernis laiteux, si translucide. Je crois qu'il va falloir que tu t'apprêtes à me soutenir encore un peu. Pour une fois, je voudrais que quelqu'un d'autre que moi prenne ma tête dans ses propres mains. Je suis étourdi mais de t'inquiète pas. Je sens que je vais avoir encore une de ces syncopes. Si cela m'arrive encore aujourd'hui, c'est heureux que ce soit là, près de toi, si lumineuse dans ma pénombre. Ca aurait été bien embêtant demain dans le train. Décidemment, je n'aime pas les trains. Je repense à toi père, être tué par un Prussien en plein Rouen ! Il faudrait avoir la force d'en rire. Aime autant que je l'ai fait.
Suzanne :
- C'est très bien d'aimer, mais il y a la douceur aussi, et tous les sentiments paisibles qui font du bien. sI vous saviez comme je tremble quand vous approchez, comme mon coeur s'emballe. Je me dis comme ça que vous allez me faire des reproches, vos sales réflexions, et si vous ne les dites pas, je les imagine, je les invente, je me fais du mal toute seule. Et pis il y a des jours là, où vous restez dans vos feuilles et dans vos livres, où vous ne dites rien, et c'est pire encore, c'est comme d'être transparente. On se sent mal quand on est invisible vous savez. Et il y a aussi les fois où vous me regardez avec gentillesse, vous parlez doucement, de vos histoires, de vos souvenirs, sans dire de méchanceté. Alors ça me transporte, j'ai dans la poitrine, là-dedans, des bouffées de bonheur.
Gustave s'est endormi depuis quelques minutes. Suzanne le recouvre d'une couverture et embrasse un des coussins avant de le lui glisser sous la tête.
Suzanne :
- Dormez cher homme. Et vivez encore un peu auprès de moi, avant que le temps vous rattrape.
Qui vaut le coup
Je vous recommande vivement
PHOTOSMATONS Le blog très réussi d'une passionnée qui vous fera très probablement découvrir de jeunes photographes très talentueux et reviendra également sur les plus emblématiques Pour ma part, découvert cette année Saul LEITER photographe américain né à Pittsburg en 1923 SAUL LEITER Paolo VENTURA Italien un monde de poésie photographique sur le coin d'une table. PAOLO VENTURA Pour s'y retrouver.
|
L'OURS & LE TULIPIER : L'intégral.
L'OURS ET LE TULIPIER", texte intégral original déposé,écrit d'après l'oeuvre et la correspondance de Gustave Flaubert.
Pour en lire l'intégralité, aller dans "Archives" puis "Août 2008" et enfin "O4/08/08". puis "Article suivant" au bas de chaque page. PhY de Pont
|
Archives
Liens qui sont bien
Mais cliquez nom d'une pipe !Une galerie de photographies top Toujours en magasinAvis à la population !L'Ours & le tuliper, texte original déposé d'après l'oeuvre et la correspondance de Gustave Flaubert.
. Toutes les photos publiées sont originales. |
Voxpopuli
→ plus de commentaires