Mots-clés : Procès, Pinard, Jules Senard, Madame Bovary
Suzanne :
- Il y a sûrement pas plus mécréant que vous, mais je suis certaine que ce ne sont que des bravades et que votre âme est moins perdue qu'elle semble.
Gustave :
- Et vlan ! Voilà l'analyse qui pointe son nez maintenant. Je suis plutôt près de la fin et tu as raison, cela calme malgré tout les ardeurs et les velléités septiques. Le vin est là aussi pour réduire les amertumes. Regarde, on est à sec ! Tu m'endors avec tes grands discours et pendant ce temps là je suis sûr que tu t'arsouilles en douce.
Suzanne :
- Oh ! Vous manquez pas d'culot !
Gustave :
- Je plaisante Suzanne, je plaisante ! Mais tu pourrais peut-être reprendre un petit flacon de cette merveille ? Qu'en penses tu ?
Suzanne :
- Je ne crois pas ça utile si vous voulez mon avis.
Gustave :
- En suivant le convoi de Louis, comme un automate, je l'entendais me parler en moi. Il me faisait des remarques idiotes, comme à chaque fois, sur l'organisation de sa propre liturgie. Trop de noir, pas assez de fleurs, mal arrangées, le curé trop rapide, l'encens trop parfumé... Il était là ! Bouilhet était là, juste à côté de moi et nous suivions ensemble le convoi d'un autre type en bavardant gentiment. J'ai même eu l'impression qu'il me prenait le bras dans la montée du cimetière de Rouen, pour m'aider à grimper. Il faisait un temps d'orage, une chaleur atroce et j'étais trempé de sueur. Et puis je me suis entendu dire à celui qui me soutenais véritablement : "Il y a plus que toi et moi mon pauvre vieux Max, serrons les rangs ". J'ai regardé, j'ai vu Du Camp et là j'ai vraiment réalisé que j'avais perdu Bouilhet.
Suzanne :
- Quand j'ai perdu mes parents, il m'a fallu plusieurs jours pour comprendre que le ne les verrais plus, du tout, plus jamais, que leur absence allait être éternelle. Quand on est trop près de la mort on ne voit pas ça tout de suite, mais quand j'ai réalisé, alors les larmes que je versais n'arrivaient même plus à diminuer la douleur. Je ne sais même pas à quoi elles servent les larmes, juste peut-être pour que les autres sachent à quel point on souffre et qu'ils se tiennent un peu à l'écart. Tiens, il faudrait que les larmes aient des couleurs pour qu'on sache si celui qui pleure veux rester seul ou si au contraire ça lui ferait du bien d'être consolé.
Gustave se dirige vers sa bibliothèque, ouvre une haute porte vitrée et extirpe une petite fiole de liqueur. Il prend un tout petit verre qu'il essuie de son pouce et s'en verse une rasade.
- Tu connais ça aussi ! Le vide que l'on craint devient certitude et l'absence de ceux qu'on a temps aimés étouffe plus sûrement que l'asphyxie. Quoi qu'il en soit, l'enterrement de Louis était très réussi. Au moins deux mille personnes ; préfet, procureur général, maire, militaires, bref, toutes les herbes de la saint Jean. Dire qu'après sa mort j'ai eu tant de mal à lui faire élever une malheureuse fontaine. Un véritable calvaire ! J'avais l'impression, en démarchant les autorités compétentes, de trimbaler son cadavre toute la sainte journée. Je suis certain que Madame Bovary, qu'il avait accouchée, elle aussi était en deuil ce jour là. Un jour peut-être, je te lirai, à ma manière, quelques chapitres de la Bovary, comme au bon vieux temps du gueuloir. Je l'ai rendu tellement dissolue, écoeurante, et son mari, pourrais-je un jour lui rendre un peu de dignité ? J'aimerai, Suzanne, à la lecture de ses démangeaisons te voir rougir encore et... Et peut-être que le rose me montera également aux joues, comme lorsque j'étais plein de vigueur et de lave, comme tout à l'heure.
Suzanne :
- Je serai bien contente de vous entendre si vous voulez. J'aime entendre lire les cantiques aussi, ceux du missel. Ca me berce. Je sais lire aussi pas, mais pas trop vite.
Gustave :
- Oui mais là, vois-tu, ce ne sont pas vraiment les psaumes de ton bréviaire, ceux que ton recteur vous fait reprendre en coeur, le dimanche à la messe. Je pense que le pauvre homme risquerait de s'échauffer la bile et de devenir définitivement hystérique. Quand le livre a été édité, on m'a trainé en justice ! Et durant mon procès, le procureur Pinard, le député cafard laissait entendre que les femmes, à la lecture de Madame Bovary, avaient des chaleurs spontanées, elles avaient l'utérus qui leur remontait dans la cervelle ! Alors tu penses bien que Monsieur le curé !
Suzanne :
- Cet homme là est un saint ! Il ne crait rien. C'est pas comme vous ! Le diable un jour viendra vous tirer par les bottes, en plein dans votre sommeil ! Et vous aurez beau le supplier.
Gustave :
- Ce qui me navre c'est qu'on a l'impression que je n'ai rien écrit, ni avant, ni après. Je suis certain qu'on me jugera uniquement à travers Emma Bovary. Les auteurs à venir, en manque d'inspiration, se distrairont en la disséquant comme le faisait mon père sur ses malheureuses dépouilles. On fera des thèses sur le réalisme et sur l'absence de réalisme.
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L'OURS & LE TULIPIER : L'intégral.
L'OURS ET LE TULIPIER", texte intégral original déposé,écrit d'après l'oeuvre et la correspondance de Gustave Flaubert.
Pour en lire l'intégralité, aller dans "Archives" puis "Août 2008" et enfin "O4/08/08". puis "Article suivant" au bas de chaque page. PhY de Pont L'OURS Pages de 41 à 42Commentaires
> [...] à quoi elles servent les larmes [...]
← Re: Vide - plein ?
Oui, et ces vides sont si denses, si épais, tellement permanents qu’ils sont tout sauf vides.
PhY
← Re: Vide - plein ?
Un jour, j’ai reçu ce message d’une amie du web (du shplouc pour être exacte). Depuis à chaque départ, je fais passer ce même message à celui ou à celle qui reste. [...] les fois où il me vient la pensée d’un manque, je dois l’appeler présence ?
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