Mots-clés : malaise
Gustave
Gustave pose sa main sur la poitrine de Suzanne, elle ne bronche pas, il continu :
- Dès le troisième degré, je soufflais déjà comme un bœuf. Deux de nos guides arabes me poussaient, deux autres me tiraient, tous les quatre,
laids comme des poux s’arrêtant de temps en temps, sûrement pour se foutre de ma gueule dans leur langue, sous leur turban.
J’étais comme l’une de ces pierres antiques, mal dégrossies, pesantes et déséquilibrées qu’ils tentaient, comme leurs ancêtres,
de hisser péniblement au sommet. Après mille souffrances j’ai atteint le faîte, à moitié torse nu, trempé de sueur, cramoisi, rompu
et prêt à vomir, enfin juste à temps pour voir s’accomplir le miracle du soleil qui renaît à la vie.
Suzanne
- Ahhh ! Vous avez vu un miracle ?
Gustave
- Tu peux le dire ! La première lueur du jour est apparue, venant de l’est et avec elle de longues files d’oiseaux, un peu comme les lanières noires
et mouvantes d’un fouet de géant, cinglant le ciel. Là, dans la moiteur, un frisson te parcourt. Tes présomptions s’évanouissent, tu désenfles,
tu te ratatines, tu te volatilises, tu n’es plus qu’une ondulation fragile dans la chaleur naissante, tu es le néant, ou plutôt l’erreur face à cette
majesté d’un temps révolu. Et soudain, là-haut, à la cime du monde civilisé, la lumière toute tiède, toute neuve de cette aurore délicate éclaire une pancarte, comme une petite enseigne, maintenue sur la pierre millénaire par deux clous tordus et rouillés. Je m’approche pour mieux voir,
je me frotte les yeux et je lis : « Humbert, frotteur, rue de la Porte aux Rats, Rouen ! »
Suzanne
- Vous voulez dire que ce Monsieur Humbert avait fait tout ce voyage pour déposer sa pancarte là-haut ? Pour s’attirer des clients peut-être ?
Gustave
- Quoi qu’est ce que tu raconte ? Mais non, pas Humbert ! Du Camp! Maxime ! Ah ! Tu n’es pas Normande pour rien, suis un peu que diable !
Suzanne
- Si vous croyez que c’est facile avec vous, par moment je me demande dans quelle langue vous me causez.
Gustave
- Je te cause dans ta langue bon Dieu ! Un, Maxime apporte tout exprès dans ses bagages, pour me faire une blague, l’enseigne qu’il avait dû v
oler à ce fameux Humbert. Lequel Humbert, je te le confirme, est bel et bien raboteur de parquet de son état. Deux, Maxime quitte le camp, fonce dans la nuit, durant notre sommeil, grimpe jusqu’au sommet, au risque de se rompre le cou, pour la mettre en évidence. Trois, je la trouve
et je reste comme un bout de flan anglais au milieu de sa soucoupe. Voilà !
Gustave pat dans un grand éclat de rire bien sonore.
- Ah bon Dieu, quelle stupeur idiote, quel fou rire, toutes les pyramides et le désert s’en souviennent encore. Quoi, c’est une belle farce non ?
Bon et bien tant pis pour toi, moi j’affectionne ce genre de drôlerie.
Suzanne est ravie de voir Gustave d'aussi bonne humeur malgré sa nuit blanche.
- Je suis bien contente vous entendre rire, je vous préfère comme ça que de vous entendre cracher vos cuves de bile sur vos concitoyens.
Gustave a toujours son grand sourire accroché à la moustache :
- Comme j'aimerais que tu les aies vue, ces pyramides, monstrueuses, colossales, nimbées dans une incroyable lumière. Jamais de ma vie,
comme ce matin là, je n'ai tant regretté de ne pas avoir été peintre. Il y avait tant de couleurs et elles se mêlaient entre elles avec une telle... intelligence. Des roses, des bleus, des verts, tout une palette d'ocres, sublime et mouvante.
Suzanne :
- Je crois que les voyages me feraient peur. Dame, quand on ne connais pas.
Suzanne se lève :
- Je vais aller chercher un peu d'ouvrage, de la couture, après vous me raconterez encore.
Elle sort de la pièce.
Gustave tape doucement le fourneau de sa pipe contre l'un des chenêts pour la vider.
- Une palette sublime et mouvante, une palette sublime, une palette... sublime... Oh non, les petites paillettes sombres...
Gustave rejoint son bureau, il pousse un grognement, se prend la tête entre les mains durant quelques secondes et soudain, de ses deux bras, envoie promener tout ce qui se trouve sur la table. Il s'écroule, se relève à nouveau, vacille et, dans un grand fracas, renverse en s'écroulant
une petite table ronde et les différents objets qui s'y trouvent...
Voxpopuli
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