Mots-clés : Trouville, Elisa Schlésinger, Louis Bouilhet
Suzanne :
- Vous auriez aussi bien pu vous faire corriger tous les deux. Tiens, j'aurai bien aimé voir ça ; M'sieur Flaubert corrigé à coups de cannes par une bande de petits vieux..!
Gustave :
- Cher Bouilhet, je voudrais, à cet instant, avoir la force du bâton qu'il avait enfoncé dans le cul de sa propre énergie pour la faire tenir belle et droite comme une poupée de Nuremberg. J'ai tout de suite aimé Louis parce qu'il était mon semblable avec sa nature complète et intransigeante. Je l'ai aimé aussi parce qu'il était un gros couillon avec ses grandes ailes mouillées de crève-la-faim. Je l'ai aimé et je l'aime encore davantage aujourd'hui. Lui et sa compréhension m'ont ingurgité tout entier comme une mie souple absorde un brouet translucide et qu'au milieu des découragements et des aigreurs qui me montaient déjà aux lèvres il était l'eau de Seltz qui me faisait digérer la vie. Peut-être ne suis-je pas conscient de l'héritage qu'il m'a légué. Peut-être a-t-il enfoui en moi la meilleure part de lui-même et qu'elle va ressurgir un de ces jours, dans une éclosion miraculeuse, à l'issue de l'une de mes pourritures de crises.
Suzanne :
- Faudrait voir à vous reposer aussi. A force de travailler comme un forçat, de ne pas dormir de la nuit, de vous soutenir qu'avec de l'eau froide et du café tout le temps, vous vous bouchez tout seul, voilà ce qui arrive quand on manque de repos.
Gustave :
- Le jour de ses funérailles j'ai également mis la moitié de mon cerveau dans son cercueil.
Suzanne vient tout près de Gustave, elle lui met sa main sur la tête :
- Faudra que je vous coupe tout ces cheveux longs qui vous tombent dans le cou, sans allure. On dirait un bohémien
Gustave se retourne pour la regarder dans les yeux :
- En fin de compte, je parle tout seul...
Puis il l'immobilise en prenant son visage dans ses grandes mains :
... Oh, ne bouge plus. Tu es vraiment charmante dans cette lumière. Je te regarde et cela me fait pétiller le peu de sang qui me reste encore dans les veines.
Suzanne :
- Je... Vous être gentil. Je.. Je ne mérite pas !
Gustave :
- Tu ne mérites pas ? Qu'est-ce que tu racontes, tu ne mérites pas ? Si je te dis que tu me fais pétiller c'est que j'ai de bonnes raisons de te dire que tu me fais pétiller. Merde alors ! Je pétille, un point c'est tout !
Suzanne :
- Et ben vous avez qu'à pétiller dans le calme.
Gustave :
- N'avez, on dit vous n'avez.. Vous n'avez qu'à pétiller. Bon, on s'en moque ! Tu me rappelles la belle, si belle Elisa... Et aussi mes lointains quinze ans. Oh ! Elisa ! Je l'ai vue pour la première fois à Trouville, sur la grande plage. Non sans un certain panache, j'avais sauvé, d'une vague menaçante le manteau que cette femme magnifique avait abandonné sur la grève. Je ne sais plus si ce n'était pas qu'un de ces rêves éblouissants que l'on fait à cet âge. Le soir même je la croise à nouveau sur la promenade et elle me remercie d'un des plus ardents regards qu'on n'a jamais posé sur moi. Je n'étais pas peu fier dans ma veste de marin. J'avais un pantalon rouge. Je m'étais mis à bander comme un âne en la revoyant... Qu'est-ce que tu racontes tu mérites pas ! Si je te dis que tu me fais pétiller, c'est ...
Gustave remarque que Suzanne rougit jusqu'aux oreilles.
... Qu'est qu'il y a maintenant ; je te fais colorer ?
Suzanne se défend :
- Mais non j'colore pas ! Sûrement pas ! Je sais ce que vous dites, je ne suis pas une de ces pintades nées après la pluie d'hier. Chez vous on peut dire qu'y a pas loin de la tombe à la guérison.
Gustave :
- Le lendemain elle était assise dans les dunes, à l'abri du vent, sous son grand chapeau de paille. Je m'étais dissimulé pour la regarder et je l'ai vu ouvrir son bustier et donner le sein à son bébé..
Suzanne est un peu outrée :
- Vous n'aviez pas honte ! Epier ainsi une mère en train d'allaiter son enfant, comme le simplet de Canteleu ?
Gustave :
- Elle colore, elle colore... ! Et alors, il n'y pas de honte ! Tous les villages veulent leur idiot. Ah bon dieu ! Quel chapeau, quelle paille, quelle femme, quel sein !
Voxpopuli
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