Mots-clés : Guy de Maupassant, François 1er, Goethe, Byron
Suzanne :
- Du nerf bon d'la ! Relevez donc la tête un peu, les gens sont bien plus précieux que votre littérature. Vous feriez bien mieux de vous préoccuper de votre Caroline, elle est votre famille bon sang.
Gustave :
- Là, tout de suite, je ne me reconnais qu'un seul enfant, c'est Guy. Mais c'est un fils du domaine du spirituel. Malheureusement, quoi qu'il en dise, et quoi qu'en dise sa propre mère, il n'a plus besoin de mon aide désormais. Mais quel génie, ses textes sont si bons, si originaux, si intelligents qu'il n'a besoin de personne et surtout pas de ma sulfure.
Suzanne :
- On va l'adorer, il sera notre plus grand écrivain... Après vous bien entendu. Quel bel homme !
Gustave :
- Ah bon ! Tu as lu Maupassant ?
Suzanne :
- Dame... Euh ! Non bien sûr, j'ai rien lu, mais il est si fort, si beau garçon.
Gustave :
- Allez ! Coup de théâtre à Croisset ! Voilà qu'on mesure le talent à l'apparence aujourd'hui, et dans cette maison, par-dessus le marché. Sache ma mignonne que la renommée d'un homme ne s'estime pas à sa notoriété publique ou au diamètre de ses bras et à la longueur de ses plongeons. Avant de pérorer il faut bâtir.
Suzanne :
- Ne vous moquez pas de lui. Monsieur Guy vous vénère comme un père, comme un dieu. Et surtout il n'aime pas vous voir vous reclure ici tout l'hiver.
Gustave part dans l'un de ses grands rires :
- Vénère ! Suzanne, je dois te reconnaître un don, tu sais choisir les mots que tu n'inventes pas !
Suzanne ne comprend rien à l'allusion :
- Ben là, il faudra me dire ce qui vous met dans cet état.
Gustave :
- Je te parle d'associer "vénèrère" et Maupassant, c'est digne des plus grands comiques. Maupassant est bourré de talent, et je trouve ça encourageant et réconfortant quand on connaît les sepiternelles coucheries de sont père et les affreuses crises de sa pauvre mère. Pauvre jeune imbécile, il se vante aujourd'hui, à qui veut l'entendre, d'avoir attrapé la "grande vérole"... Quel prétentieux ! Attention, il ne parle pas de la chaude pisse éphémère des petits ecclésiastiques de province, non non, mais de celle des grands princes de l'église, de François 1er, la grande vérole de la Renaissance, toute enluminée et dorée sur tranche. La royale vérole ! Ah ça, pour sûr, maintenant il est tranquille, à l'abir des surprises, il ne risque plus jamais de l'attraper, elle le dévore ! Maupassant, ma belle Suzanne, puisque tu n'as pas l'air de comprendre, est un génial queutard. Génial, bravo ! Intrépide, sans concession, tout cela est à mettre à son actif. Maupassant écrit comme on saute ou comme on plonge, je l'envie. On veut lui faire un procès pour ce texte inoffensif, son histoire de lavandière qui offre généreusement ses seins, qui se renverse dans l'herbe et qui râle quelques dizaines de fois sous les caresses d'un poète audacieux. C'est une nouvelle preuve que les procureurs se sont bons qu'à jouir dans leurs dossiers. La terre a des limites mais la connerie humaine est infinie. Ce qui est beau est forcément moral, voilà tout ! Et si on devait demain interdire ce poème de Maupassant, il faudrait aussitôt censurer tous les classiques, les grecs, les latins, tous sans exception, et ensuite shakespeare, Goethe, Byron, Cervantès, Rabelais, Corneille, Molière. Comme si les tribunaux avait pour seule mission de déclarer obscène ou pas l'oeuvre d'un artiste. Quant au Maupassant queutard, quel dommage ! Trop empressé le petit, trop assoiffé de jeunesse et de nouveautés. Il faut goûter le liquide avant d'étancher sa soif à des sources exotiques, aussi pures qu'en soient apparemment les eaux. Je lui ai dit cent fois, il peut me croire, j'ai l'habitude de ce genre d'expérience. Heureusement pour lui, il a de l'union sacré un avis qui me plait. J'aime lorsqu'il dit du mariage que c'est souffrir des mauvaises humeurs le jour et des mauvaises odeurs la nuit.
Suzanne :
- C'est un peu facile, de ce moquer de Monsieur Guy, vous faites le beau, vous phrasotez sur de grands airs, vous prenez goût à vous ficher de la bouille de tout le monde, de moi, de vos amis et même de votre famille. Vous mériteriez un bon coup de torchon, pour pour un sale gamin morvioteux qui agace.
Gustave :
- Oh ! Mais te voilà blessée ma pauvre Suzanne. Que tu es belle agressés, comme elle se soulève ta poitrine sous l'exhortation.
Suzanne :
- Je sais bien que je ne suis pas très jolie. Les juppes rapées et les accrocs dans les bas n'attirent pas le regard comme les robes ravissantes et d'ailleurs je n'ai pas de poitrine, je suis plate comme un trottoir.
Gustave :
- Tant mieux ! J'aime ça ! Bouilhet disait qu'on est plus près du coeur quand la poitrine est plate. Moi je te dis que tu es belle et que je serais racommodé avec le genre féminin, apaisé et bienheureux si je devais mourir tout de suite et ne plus rien voir d'autre que toi. Mais ne t'emporte pas à chaque mot non plus. Je gronde comme un orage d'été mais lorsqu'il a éclaté, l'atmosphère est moins lourde, moins suintante. Allons ! Pardonne moi.
Voxpopuli
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