Cela fera plus d’une année révolue que mon dernier billet a été posté sur ce que bon nombre de bigoudens appelle encore sous cape et en se vrillant l’index à la hauteur de la tempe : le blog du fada.
Non, fada n’est pas la propriété exclusive des pecnauds du midi.
(C’est décidé cette année je me fâche avec la terre entière.)
Je venais donc de valider le fameux «Cop & Hag», monument de la littérature minimaliste et heureux de vivre et d’aimer l’eau fraîche je devais entreprendre un voyage photographique dans une île lointaine et paradisiaque. Cela ne devait durer que quelques jours, il se passa une année entière et seule Ancolie, observatrice passionnée de l’infiniment esthétique s’inquiétât alors de mon absence... Mais sans plus.
Voici donc le récit de ces aventures fantastiques et parfois insoutenables qui m’empêchèrent cruellement d’alimenter ce blog étonnant qui vous a si souvent accompagné, chers (chères) lecteurs (trices) et commentateurs (trices) dans votre solitude, votre isolement, vos introspections et même parfois dans la maladie.
Au retour de ces horizons lointains, ou le palmier semble avoir été planté au coin à gauche de chaque carte postale pour souligner l'indicible mièvrerie de ces paysages parfaits, je retrouvais avec plaisir les ruelles moites aux pavés spongieux de ma belle ville de Pont, plongée comme à l’accoutumée dans une brume pénétrante et expectorante ; rue Péronelle de Rochefort, rue Bertille de Sanceprune, rue Anselmine de Karkeloc’h, rue Domitille de Rumengol et enfin rue Guillemette de Kerduner. Il faut dire que la municipalité a mis le paquet pour rendre hommage aux diverses pucelles moyenâgeuses qui ont fait, jadis, les beaux jours des bars à soldats du centre ville.
Ma flânerie nostalgique me conduisait sans but précis au fil de ces venelles étroites lorsque soudain, deux quidams sortant de nul part me mirent une vague carte routière sous le nez et m’interrogèrent confusément sans que j’ai pu prendre soin de vérifier la conformité de leur faciès avec les récentes règles de prudence diffusées par le ministère de la Vérification des physionomies.
Dénué de toute méfiance, je m’abîmais les yeux sur le plan de la ville lorsque je fus soudainement recouvert jusqu’au torse d’un sac rudimentaire en velours côtelé et brutalement entraîné vers l’avant pour être enfourgonné dans ce que je crus être une manière de véhicule utilitaire et enfin on m'appliqua sur le visage et à travers la toile ce qu'il fallait pour m'endormir. Cela s’était passé en quelques secondes seulement et visiblement nul passant frileux ne s’émut de mon sort.
Nous roulâmes dans un confort déplorable pendant une éternité, mes côtes s'en souviennent encore et parfois, dans une demi conscience, j’entendais les voix de mes ravisseurs, ils s’exprimaient dans un étrange patois oscillant entre le kurde des montagnes du nord le poitevin-saintongeais et le berrichon ancien.
Le véhicule s'immobilisa enfin.
On m’entendit m’agiter dans la camionnette, on m’en extirpa sans ménagement et le sac qui m’aveuglait fut retiré.
Nous devions être en plein après-midi, les ombres de quelques arbustes squelettiques et complètement penchés en témoignaient.
Le campement rudimentaire était en bord de mer, adossé à quelques canivelles protégeant une dune plantée d’oyats. Le ressac que l'on percevait lointain, de l’autre côté de la masse de sable indiquait la marée basse. A l’horizon quelques pointes de clochers se détachaient à peine sur le gris métallique du ciel, des calvaires lugubres plantés de-ci de-là sur une lande éparse racontaient leurs histoires de passion et de crucifixion, des pierres taillées comme des dolmens ou rassemblées telles des cairns se dressaient dans ce paysage indéfinissable et l’air était saturé d'une odeur de goémon, de galettes et de beurre salé...
Non, repérer l’endroit où on m'avait conduit était tout à fait impossible.
A partir d’ici, Ô lecteurs incrédules, il vous sera possible de rendre ce récit plus vivant et plus coloré en lisant les parties mises en italique avec un léger accent, celui qui vous conviendra et qui représentera avec le plus de réalisme les craintes profondes, ancestrales, enfouies que vous inspire votre prochain.
Quatre individus me faisaient face, dont une femme à ce qu’il semblait. Tous étaient accoutrés de pantalons de survêtement ridicules, enfoncés dans une paire de bottes en caoutchouc, de pull à losanges d'un autre temps d’une vareuse de type militaire et leur visage se dissimulait sous une forme de cagoule de grosse laine à visière.
L’un d’entre eux s’approcha :
« Je suis le chef. Bonjour d’abord et permettez-moi ensuite de vous présenter tous nos vœux. On a jusqu’à fin janvier n’est-ce pas... Alors bonne année et surtout bonne santé. »
Je restai indécis.
« Nous sommes les redoutables révolutionnaires Pitchounes et vous êtes notre otage. »
D’indécis je passais à perplexe.
L’homme de gauche qui, sous son passe-montagne s’était barbouillé le visage avec de la pâte de camouflage, ressemblait à une vache trop maquillée ajouta :
« Révolutionnaires Pitchounes ! Branche historique radicale et incompatible... »
« Ta gueule quand je parle Zemour, » dit le chef, « saute sur ta mobylette et fonce faire le pê au bout du chemin. »
Il s’appelle réellement Zemmour demandais-je avec circonspection ?
« Pas Zemmour, Zemour..! Il est plus bête que méchant dès qu’il y a une connerie à dire, c’est pour lui, un genre de marque de fabrique. Ne vous formalisez pas. Enfin j’imagine qu’il doit avoir des circonstances atténuantes. Père ingénieur, mère au foyer... Une bonne situation, des revenus réguliers... On ne s’étend pas d’accord ? Ça peut frapper dans tous les milieux. »
J’acquiesçais sans réserve.
L’autre homme n’avait pas prononcé un mot, il se contentait d’opiner bêtement quand à la femme, son rôle était purement figuratif (au cas où plus tard, un réalisateur veuille mettre en scène mes aventures, une présence féminine est immédiatement plus alléchante.)
Donc je suis otage ?
« Absolument cher Monsieur. »
Mais que voulez-vous faire de moi ?
« Et bien obtenir une rançon pardi et faire avancer la cause… »
Une rançon dites-vous ? Mais qui voulez-vous qui vous règle une rançon ?
Je n’ai pas un sous d’avance, ma famille ne bougera pas le petit doigt, mes amis me fuient et je n’ai même pas réglé mon abonnement à Viabloga…Et la cause.. Mais qu’elle cause ? Vous n’avez donc aucun scrupule ?
« Pas le moindre, les œufs sont faits pour faire des poussins ou des omelettes, les enlèvements sont là pour faire des otages et les otages pour toucher des rançons… C’est la vie qui veut ça mon cher monsieur. »
Et vous n’avez pas honte ? Vous n’éprouvez aucun remords.
« Si, terriblement, autant que votre organisme de surendettement qui vous étrangle… Autant que votre banquier qui vous asphyxie, que l’administration qui vous envoie l’huissier pour vous saisir qui vous pousse dans l’extrême dépression et vous contraint à abattre désespérément mère femme et fille avant de vous coller une balle dans la tête… Tout ça c’est effroyablement perturbant et tel que vous me voyez, je suis engourdi, que dis-je, totalement paralysé par le remords. Quand aux scrupules, je pense ressentir les mêmes que les gouvernements qui protègent scandaleusement les plus riches aux dépends des peuples qui souffrent.
En deux mots, je m’en fous ! J’assume, nous assumons ! Ce qui revient à dire on vous emmerde chers concitoyens. »
Mais cela ne constitue pas une cause et ne vous autorise pas à procéder à des enlèvements dangereux.
« Vous ne vous sentez pas en sécurité peut-être ? Vous a t'on torturé ? Nous avez vous choisis pour ces nuisances ? »
Et bien non, justement, non à toutes vos interrogations et non en particulier à la troisième, je ne vous ai pas choisis.
« Nous sommes d'accord. Qu'y a t'il de plus indignant, qu'un inconnu fasse un peu pression en vous retenant contre votre gré afin d'obtenir un modeste capital en contrepartie de votre libération ou qu'un aréopage d'élus vérolés vous empapaoute jusqu'à la garde pour vous extorquer toutes vos économies ? »
L'homme silencieux levait le menton en me regardant à chaque théorie de son chef comme pour mieux m'inciter à corroborer ses affirmations.
« On aurait bien essayé de kidnapper tout un peuple, une bonne fois pour toute, afin de réduire les risques et d'augmenter les gains mais franchement, les peuples n'intéressent plus personne, regardez les Haïtiens ! Rappelle t'on tous les soirs à la télévision à l'heure où l'on tranche le saucisson sec pour accompagner l'apéro que des centaines de milliers de personnes vont dîner d'une galette de terre battue mélangée à de la poussière et trinquer avec un bon verre d'eau croupie ? Et aujourd’hui ces Tunisiens, un chevalier en armure s’est-il récemment proposé pour les sortir de leur carcan et leur ôter leur bâillon ? Certes on ne doit pas oublier ceux qui sont retenus loin de leurs proches et contre leur volonté, mais cela doit-il masquer l'ignoble incapacité de nos civilisations bien pensantes à régler les vrais problèmes de l'humanité. Je vous assure, nous avons bien pesé les risques et les prévisions de bénéfices, prendre un inconnu en otage, si la démarche est bien orchestrée et habillement médiatisée reste nettement plus profitable que menacer d'asservir tout un peuple sous le joug d'une dictature sanguinaire ou de rayer de la carte toute une population sous prétexte de ne pas froisser la sacro-sainte souveraineté des nations y compris les plus pourries, les plus malsaines. »
Le soir avançait paisiblement. Le deuxième homme et la jeune femme firent un feu et s'afférèrent à la préparation d'un repas sommaire, on n'entendait plus de la mer qu'un vague clapotis et au bout du chemin un chien aboyait frénétiquement après Zemour qui faisait pétarader sa mobylette comme un sale gamin.
Les matins succédèrent aux soirées, les heures chaudes aux journées de pluie, les mauvais repas aux mauvais repas, le chef traitait de tous les sujets avec la même conviction, Zemour ne retirait sa cagoule de laine que pour s'éponger le visage ou flatter la tête du chien qu’il avait adopté, le muet le resta et je failli tomber sous le charme de la jeune femme. Ils me relâchèrent probablement lassés de ce pensionnaire encombrant sans avoir touché le moindre argent.
Il se passa une année entière, les factures s'amoncelèrent dans ma boite aux lettres et il me fallu être bien persuasif pour me faire pardonner cette absence.
Je commence aujourd'hui à ressentir le manque de cette petite bande et la philosophie panglossienne de leur chef.
Voxpopuli
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