Mots-clés : Bibliothèque Mazarine, Bosphore, Venise, Tourgueniev, Victor Hugo
Gustave :
- Tu vas voir, nous allons finir par nous établir tous les deux. Regarde, vous ressemblons déjà à un vieux couple, avec nos chamailleries et nos regards par en dessous. Qu'en penses-tu ? Tu sais, c'est amusant, j'ai commencé ma vie d'homme dans les bras d'une petite bonne que ma mère avait prise à son service, c'est elle qui m'a dégourdi. C'est pour te dire tout l'égard que je porte aux femmes de ta condition. Je me souviens encore du goût laiteux de ses mamelons et de leur belle fierté. Ah ! Quel souvenir ! J'ai rêvé de me faire construire un petit palais à Venise ou mieux, un chalet sur le Bosphore, avec un kiosque au bout d'un parc, pour les soirs étoilés. Tu m'y aurais accompagné ?
Suzanne :
- Vous voulez dire à votre service ?
Gustave:
- Pas seulement.
Suzanne :
- Sûrement ! Je... Je crois. Mais vous auriez tôt fait de m'abandonner. Le monde des petites gens n'est pas toujours bien gai, je vous aurai vite lassé.
Gustave :
- Qu'est-ce que ça veut dire, ton monde, le mien ! J'en ai connu des femmes, de mon monde comme tu dis, une en particulier, certainement la femme la plus magnifique de Paris, la plénitude personnifiée. Hugo l'appelait sa "chère soeur", la splendide Louise. Elle était au sommet de son art, de sa beauté, à pleurer, à tel point que parfois cela m'effrayait. Comme m'effrayait l'idée de coucher avec elle et qu'elle ne veuille plus quitter mon lit.
Suzanne :
- Être beau à faire pleurer ! C'est rigolo ce que vous venez de dire.
Gustave :
- Très rigolo en effet ! Je suis un grand comique, tu ne savais pas ? Avec le temps, je me suis plus ou moins débarrassé de toutes les contraintes du sexe. Je pensais que ce serait plus difficile, mais c'est en définitive l'argent qui est toujours resté le vrai problème. Ne pas manquer d'argent vois-tu, ou plus exactement ne pas avoir à s'en préoccuper c'est ça le grand secret de l'écriture, de la mienne en tout cas, c'est la veine, l'aorte dramatique qui irrigue l'inspiration. Je me déteste, je viens de me laisser acheter par ces ministères que je dégueule, avec une pension minable odieusement déguisée sous les traits d'un hommage sordide... Je ne le crois pas moi-même ; j'ai été assez lâche pour accepter cette compromission. Regarde ! Tu as devant toi le futur Conservateur adjoint de la Bibliothèque Mazarine. 3000 francs d'appointement et absolument rien à foutre. C'est pas beau ça ?
Suzanne :
- Trois mille francs !!! Bonsoir ! Pour une fortune, ça c'est une fortune ! J'en connais qui feraient du grand mal autour d'eux sans craindre le purgatoire ! Trois mille francs ! Quelle somme.
Gustave :
- Tu parles ! Pour écrire il faut observer, sentir, entendre et toucher, les bibliothèques ont leurs limites, si tu ne vois pas le soleil se coucher à Saint-Malo, à Louxor ou sur les toits de Jérusalem, tu ne peux pas le décrire. Les couleurs Suzanne, les couleurs sont souvent les clés d'un bon roman. Avec trois mille francs tu ne tiens pas six mois.
Suzanne :
- Ben crotte ! Trois mille francs tous les six mois !
Gustave :
- J'avais réussi à conserver de moi-même un peu d'orgueil, j'ai tout bradé d'un seul coup. J'ai l'impression d'inhaler de la pitié. Quand je pense que cela va paraître dans le Journal Officiel dans quelques jours. Si par malheur les journalistes l'apprennent avant la parution il vont me dévorer, me donner en pâture, c'est certain.
Suzanne :
- Allez, ne vous rongez donc pas les sangs, ne pensez donc plus à tout ceux là, ils ne valent pas la peine. Trois mille francs !
Gustave :
- Tu as raison mon ange, ça va me gâcher la journée et franchement, ce serait vraiment dommage, elle a si bien commencé.
Suzanne :
- Regardez plutôt autour de vous, tous les gens qui vous aiment. Vos amis ont tous de l'attention pour vous. Même votre ami russe, celui qui vous envoie ces poissons fumés qui puent tant et ces boites de graines noires.
Gustave :
- Des graines noires ! Du caviar. Ah ,ah ah ! Des graines noires ! Tu me fait rire. Le caviar, voilà ce que j'appelle de la nourriture divine ! Ah je te jure que si on servait du caviar sur les hosties à la messe, tu me verrais plus souvent à l'église. Ce bon Tourgueniev ! Quel Prince. Il faut pourtant que je me méfie de ses bons conseils. Je me souviens, un matin, il y a deux ou trois ans, je reçois une de ses lettres. Il me dit que je dois lever la tête de mes romans, qu'il faut que je sorte, que je fasse de l'exercice, il me conseille la marche, c'est un comble quand on sait que la plupart du temps il est chevillé au lit à cause de sa goutte, bref, comme un idiot je décide de l'écouter, de suivre ses recommandations et je me résous à laisser tomber mes plumes et ma prose pour aller gambader le long de la Seine. Et bien, une demi heure plus tard je me suis pété la guibolle sur la berge et je suis resté quatre mois sans pouvoir poser le pied par terre. Tu avoueras qu'il a une drôle d'influence le moscovite ! Mais qu'importe cette putain de fracture du peroné ! Vive les Russes ! Tovaritch !
Suzanne :
- Quelle horreur, jamais je ne pourrai avaler de cette cochonnerie noire, même avec du pain. Et ce maudit poisson tout suiffeux. Faut-y avoir faim. Ah ça, pour rien au monde je voudrai finir Russe.
On entend tinter la cloche du grand portail.
Gustave regardant par la fenêtre :
- Enfin, voilà la poste, sûrement.
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L'OURS & LE TULIPIER : L'intégral.
L'OURS ET LE TULIPIER", texte intégral original déposé,écrit d'après l'oeuvre et la correspondance de Gustave Flaubert.
Pour en lire l'intégralité, aller dans "Archives" puis "Août 2008" et enfin "O4/08/08". puis "Article suivant" au bas de chaque page. PhY de Pont L'OURS Pages de 55 à 57Commentairesmessage de service
PhY, ton billet est dans la catégorie "Flash de PhY" alors qu'il devrait être dans l''Ours et le Tulipier".
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@ tilly
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Cher nomade normand,
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